Pour présenter mon roman historique Le Crépuscule des papillons (Éditions Maïa – 2021), je publie en quatre épisodes un chapitre intitulé : les années sombres. Voici la deuxième partie.
Consacré à Suzanne Thomazon, ce texte met en scène l’héroïne du roman, enfermée pendant douze longues années dans la Tour de Constance d’Aigues-Mortes au milieu du XVIII° siècle.
Ce lieu d’enfermement des femmes, arrêtées par les Dragons du roi Louis XV, servait à punir celles des huguenotes qui luttaient pour la liberté de conscience et la liberté de culte.
La plus célèbre d’entre-elles fut Marie Durand.
Marc Fouquet
Décembre 2021.
ÉPISODE 2.
Juste après sa naissance en prison, le curé de Notre-Dame-des-Sablons baptisa Jean-François dans la foi catholique. La cérémonie, une tartuferie légale quoiqu’il en soit, eut lieu dans la cour de la Tour. Les témoins furent Jeanne Destrade, femme du major commandant la prison, et le lieutenant Louis de Saint-Aulas. À cette occasion, je fus interrogée sur ma persistance en la foi huguenote. Une nouvelle proposition d’abjuration me fût faite, cruellement mais avec une insistance souriante : « si, du moins, il est dans tes intentions de revoir Nîmes ! »
Je refusai la main tendue.
Depuis cet épisode, je me suis souvent posé quatre questions conjointes : mon intérêt ne serait-il pas de faire cesser cette insupportable situation en me résolvant à l’abjuration ? Dans ces conditions, l’abjuration ne serait-elle pas une renonciation superficielle, quant au plus profond de mon âme, ma vraie et seule foi demeurerait protestante ? Ne devrais-je pas, alors, tenir pour juste, cette idée que l’abjuration n’est qu’un acte de simple renonciation, traversé par une liturgie dont la signification me demeurerait inconnue ? Ne pourrais-je alors, aborder la question de l’eucharistie des catholiques comme un acte détaché de toute valeur spirituelle ?
Dans ces moments où le doute m’envahit, assise sur ma paillasse, je garde le silence.
Marie Durand, elle, ne manque pas de remarquer que je suis plongée dans un abîme de perplexité. Elle me rassure. Elle n’est pas, plus que je ne le suis, sujette à d’inutiles effusions sentimentales. Elle s’assied face à moi, sur le sol. Nous parlons de notre sujet de prédilection, celui d’ailleurs que nous avons toutes en commun, également objet de nos fantasmes respectifs : notre dessein de liberté !
Marie Durand fut incarcérée dans la Tour à l’âge de dix-huit ans, quelques jours après moi. C’était en 1730. Elle devint, au fil des mois et des années, une inspiratrice de la résistance pétrie de force et courage. Elle explique régulièrement que les privations et les sévices sont des épreuves que Dieu nous impose, comme il imposât les siennes à Jésus jusqu’à sa crucifixion.
Grâce à elle, et ce malgré des conditions de vie rudimentaires, nous organisons nos activités ; l’école aux petits étant l’une d’entre-elles. Nos journées sont ainsi occupées. Marie est une femme d’action. Je suis de sept ans son aînée, ce qui aurait pu me donner quelque autorité d’ancienneté sur elle ; jamais pourtant ce ne fut le cas. Nous échangeons à voix basse – car elle n’évoque le sujet qu’avec deux ou trois d’entre-nous sur la trentaine de prisonnières que nous sommes – à propos des conditions de son arrestation, après que furent amenés par les dragons, son père, puis son frère. Récemment, elle a reçu une bible de Paul Rabaut, auquel elle a déjà fait parvenir de nombreuses lettres ; sûrement lues par nos geôliers.
La lecture du Livre nous transporte dans un monde où les raisons d’espérer, sont un trésor qui ne peut nous être soustrait. Bien que vivant dans un grand dénuement, cette lecture nous donne la force de fuir, du moins par la pensée, un quotidien extrêmement violent. Nous y entrevoyons le signe d’un avenir meilleur.