Immortelle randonnée – Compostelle malgré moi : de Jean-Christophe Rufin, de l’Académie française, 2021.
Lorsqu’on aime on ne compte pas ! Le 30 avril dernier, le site www.marcfouquet.com avait publié un commentaire sur L’Abyssin, du même auteur. Nous ne reviendrons pas sur une présentation générale de l’Académicien et son parcours. Nous soulignerons simplement qu’il est aussi un montagnard averti. D’ailleurs, il vient de publier Montagnes humaine – Entretiens avec Fabrice Lardreau, livre présenté par Arthaud, avec ces mots : « L’amitié est renforcée par la pratique de la haute montagne, qui crée des liens immédiats, développe une vision commune du monde. Il s’instaure entre les grimpeurs ce que j’appelle une intimité du vertical (…). Attaché à une montagne humaine, il entrevoit la haute altitude comme une terre de dépouillement révélant la vérité des êtres. Cette simplicité, cette économie de moyen rejoignent sa pratique de l’écriture, qui entretient de nombreuses correspondances avec celle de l’alpinisme : sur la paroi comme dans un livre, on progresse de prise en prise, pour mener le lecteur, comme un compagnon de cordée, le plus loin et le plus haut possible… »
Et là, on découvre ce qu’a, semble-t-il, voulu exprimer l’auteur d’Immortelle randonnée : une randonnée humaine.
Jean-Christophe Rufin a suivi à pied, sur plus de huit cents kilomètres, le « Chemin du Nord » jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Beaucoup moins fréquenté que la voie habituelle des pèlerins, cet itinéraire longe les côtes basque et cantabrique puis traverse les montagnes sauvages des Asturies et de Galice.
Ce qu’en dit l’éditeur en quatrième de couverture.
« Chaque fois que l’on m’a posé la question : « Pourquoi êtes-vous allé à Santiago ? », j’ai été bien en peine de répondre. Comment expliquer à ceux qui ne l’ont pas vécu que le Chemin a pour effet sinon pour vertu de faire oublier les raisons qui ont amené à s’y engager ? On est parti, voilà tout. »
Galerie de portraits savoureux, divertissement philosophique sur le ton de Diderot, exercice d’autodérision plein d’humour et d’émerveillement, Immortelle randonnée se classe parmi les grands récits de voyage littéraires.
Extraits de la page 207 : le Grand Mystère.
« Les églises et les monastères n’avaient été que les antichambres dans lesquelles j’avais été préparé à l’arrivée de quelque chose qui restait encore invisible. Voilà que, disposé par ces retraites à accueillir le grand mystère, j’étais enfin admis à me tenir en sa présence. Il faut que le pèlerin soit enfin seul et presque nu, qu’il abandonne les oripeaux de la liturgie, pour qu’il puisse monter vers le ciel. Toutes les religions sont confondues dans ce face-à-face avec le Principe essentiel. Comme le prêtre aztèque sur sa pyramide, le sumérien sur sa ziggourat, Moïse au Sinaï, le Christ au Golgotha, le pèlerin dans ses hautes solitudes, livré aux vents et aux nuées, abstrait d’un monde qu’il voit de haut et de loin, délivré de lui-même en ses souffrances et vains désirs, atteint enfin l’Unité, l’Essence, l’Origine. Peut importe le nom qu’il lui donne. Peu importe en quoi ce nom s’incarne (…) »
Extraits de la page 208 : sa spiritualité retrouvée.
« Eussè-je été un homme préhistorique que j’aurais couru jusqu’à ma grotte et dessiné sur ses parois cette divinité brièvement aperçut (dans le passage précédent il s’agit d’un cheval sauvage, grand intrépide, immobile, qui fixe le Jacquet dans un univers de montagne), concentrant en elle toute force et toute beauté C’est ainsi que les humains d’aujourd’hui, après le long détours des monothéismes, en reviennent parfois à des éblouissements spirituels qui leur font incarner le divin dans les objets de la nature : les nuages, la montagne, les chevaux Le pèlerinage est un voyage qui soude ensemble toutes les étapes de la croyance humaine, de l’animisme le plus polythéiste jusqu’à l’incarnation du Verbe. Le Chemin réenchante le monde ». Libre à chacun, ensuite, dans cette réalité saturée de sacré, d’enfermer sa spiritualité retrouvée dans telle religion, dans telle autre ou dans aucune. Reste que, par le détour du corps et de la privation, l’esprit perd de sa sècheresse et oublie le désespoir où l’avait plongée l’absolue domination du matériel sur le spirituel, de la science sur la croyance, de la longévité du corps sur la l’éternité de l’au-delà. Il est soudain irrigué par une énergie qui l’étonne lui-même et dont, d’ailleurs, il ne sait pas très bien que faire (…) »
Laissez-vous emporter par ce livre d’un Jacquet parti à la découverte du monde, de son monde, de notre monde…Un voyage philosophie et littéraire, bercé par les doux et chauds vents espagnols, contraint à l’effort par sa dureté. Mais aussi un chemin authentique et humain, à la recherche de l’Essence de l’être. Des moments d’autodérision et d’humour aussi. Une infinité points de départ, une unique destination, une multitude de destinées.
Un livre passionnant à lire.
Marc Fouquet
29/11/2021